C’est acté, l’État français a finalement octroyé à la société Breizh Ressources, filiale du groupe canadien Aurania, les trois “permis exclusifs de recherche” qu’elle demandait, publiés au Journal Officiel ce mercredi 10 décembre 2025. C’est le délégué à l’Industrie, Sébastien Martin, qui a ainsi donné le feu vert au nom de la “transition écologique” et de la “souveraineté nationale”.
Dans le domaine de l’exploitation minière, la France s’inscrit dans la même lignée que les autres États européens. En 2021 à Lisbonne, au Portugal, se tenait une grande conférence sur “l’exploitation minière verte”, où se réunissaient de nombreuses entreprises, des universités, des organismes nationaux et internationaux, mais aussi des associations de l’industrie. Face à une telle organisation, de nombreux opposants s’étaient réunis pour dénoncer les ravages de l’industrie minière. L’objectif annoncé n’a pas changé depuis : la volonté de sécuriser les sources d’approvisionnement des métaux utilisés dans la transition dite écologique et numérique. En plein essor, l’industrie minière est soumise à la pression de la demande croissante en métaux divers : lithium, or, étain, argent, plomb, zinc et terres rares en tout genre. Il ne s’agit donc en réalité pas tant d’une “transition” que d’une “accumulation” des ressources. Rappelons que le passage à l’électricité n’a en vérité pas fait disparaître les énergies fossiles, mais a plutôt instauré une forme de cohabitation (nucléaire, charbon, éolien). L’émergence de l’écologie politique a forcé les industriels à “rebrander” leurs activités ; Total est devenu Total Énergies, la prospection minière “durable” et la croissance, quant à elle, s’est faite “verte”. Les industriels l’ont compris, le greenwashing leur permet de perpétuer leur destruction systématique du monde sous couvert de nécessité énergétique. À cela s’ajoutent les promesses d’opportunités économiques dans des régions où les taux de chômage sont en augmentation, et à une époque où l’inflation bat son plein.
Ne nous y trompons pas : ces actions ne sont ni philanthropiques, ni respectueuses de l’environnement. Au contraire, c’est là toute la cruauté de la prédation sur le Vivant qui se déploie sous nos yeux : autoritaire, coloniale. Jusqu’ici, il ne s’agit en théorie que de “prospection”, c’est-à-dire que les permis délivrés autorisent une phase de recherche. Ce discours sert pour l’instant de “soupape de sécurité” à une potentielle colère sociale. Cependant, la fuite en avant est inévitable. Le fait même que l’autorisation pour de la prospection ait été délivrée constitue un affront en soi. Nous ne sommes maîtres ni de notre avenir, ni de notre bien commun. Breizh Ressources n’est ni plus ni moins qu’un déguisement pour Aurania, la société-mère basée à Toronto au Canada, qui a bien compris tout le potentiel qu’il y a dans l’adoption d’un nom de société “breton”. Généralement, les projets clivants sont mieux acceptés lorsque l’on fait valoir leur origine locale. Sur son site, Aurania indique investir dans la prospection notamment en France, en Italie et ailleurs en Europe. Dans un article récent, Aurania déclare : “The initial mining inventory studies conducted by the French Geological Survey (BRGM) confirmed the presence of gold associated with strategic metals over more than 150 km along the shear zone, and in some cases at exceptional grades” (“Les premières études d’inventorisation minière menées par le Bureau de Recherches Géologiques MInières français ont confirmé la présence d’or, ainsi que de métaux stratégiques sur plus de 150 km le long de la zone de cisaillement, et dans certains cas, à des niveaux exceptionnels”)1
Le message est clair : la présence considérable de métaux dans les sous-sols bretons ne laisse aucune chance à la demi-mesure. Le Breizh Washing performé par la filiale du groupe américain ne doit pas nous aveugler sur les débouchés environnementaux et économiques des potentielles futures extractions. Le gouvernement français et le groupe minier travaillent de concert à l’exploitation de la Bretagne2.
Dans un premier temps, il s’agira de prospections géochimiques afin d’actualiser les connaissances actuelles sur les secteurs choisis. Par la suite, des prospections géophysiques seront proposées : quelques carottages pour commencer. Néanmoins, il est important de noter que la recherche est de facto orientée vers l’exploitation. Les quelques potentiels gains scientifiques ne se suffisent pas à eux-mêmes pour inciter les investisseurs à s’engager. Enfin, une fois les investissements lancés, ce genre de projet devient très complexe à réfréner et les possibilités de le stopper sont quasi nulles.
Les enjeux financiers et politiques sont trop importants pour que les voix qui s’élèvent contre l’extraction minière comptent véritablement : c’est pour cela qu’il est particulièrement important d’agir en amont, d’informer les locaux sur les tenants et les aboutissements de ces activités de prospection et leurs évolutions certaines. Les publics doivent avoir connaissance des conséquences avant même que les permis de recherche ne soient délivrés. En l’occurrence, nous nous trouvons dans une espèce de “twilight zone”, un espace flou entre la prise de conscience collective et le début effectif des prospections. Deux camps s’affrontent, tous les deux axés sur des temporalités différentes. L’un se positionne dans le temps court : c’est celui des industriels, qui visent les profits privés dans un cadre temporel restreint. L’autre camp alerte sur les conséquences à long terme de l’extraction minière, dont les nombreux déchets, les pollutions, la contamination des sols, et ce pour des décennies, parfois même des siècles. Douar ha Frankiz revendique sa position de refus total de ces entreprises extractivistes : pas de mine, ni aujourd’hui, ni demain. Aucune concession ne doit être faite aux pilleurs de la Terre, car il n’y en a qu’une !
Le combat indépendantiste prend dès lors tout son sens. Posons-nous les questions fondamentales : quelle Bretagne voulons-nous laisser à nos enfants ? Accepterons-nous un pays déforesté, aux sols artificialisés ? Que dirons-nous aux générations futures, lorsque nous devrons leur expliquer pourquoi la disparition de nombreuses espèces d’animaux, de plantes, de micro-organismes était évitable, mais que nous n’avons rien fait ? Que les cours d’eau qui, autrefois si abondants, sont devenus des tombeaux à ciel ouvert, gorgés de métaux lourds ? Comment pouvons-nous prétendre défendre nos pêcheurs si nous ne nous élevons pas face à ce qui menace directement leurs activités, mais aussi les zones humides, et par-dessus tout, l’eau que nous consommons ? Notre pays souffre déjà d’un modèle agricole toxique, laisserons-nous s’ajouter à cela les trop nombreuses nuisances dues à l’exploitation minière ?
Dans les zones d’exploitation, les espaces sont difficilement habitables : les déchets sont débarrassés dans des fosses à ciel ouvert. Les sols qui ont été prospectés deviennent stériles à force de l’assaut des machines et des produits utilisés. Ne négligeons pas les paysages qui s’en voient irrémédiablement défigurés : la faune quant à elle, est repoussée vers les zones habitées, entraînant ravages dans les cultures et les propriétés privées. Par effet domino, les biens perdent en valeur.
Douar ha Frankiz dénonce la violence sociale et environnementale que produit l’industrie minière. Ces projets, imposés depuis Paris, se décident sans même la consultation préalable des populations locales. Les technocrates confisquent toute agentivité aux Bretons et aux Bretonnes, qui se voient dépossédé-e-s à la fois de leur pays, mais aussi de leur expression démocratique. Nous le soulignons : la Bretagne sera à nouveau sacrifiée pour les intérêts d’une minorité. Les menaces sont pourtant nombreuses et bien réelles : les ravages environnementaux pèsent sur l’agriculture, le tourisme, la pêche ainsi que nous l’avons déjà mentionné. L’installation se complexifie : les zones de recherche immobilière se réduisent un peu plus, malgré une situation déjà critique en ce qui concerne le logement en Bretagne. L’histoire se répète : les anciennes colonies endossent à nouveau le rôle de vache-laitière. L’État viendra nous pomper jusque dans les entrailles de notre terre.
Pour faire avaler la pilule, les promoteurs n’hésitent pas à reverdir leurs discours. L’argument qui revient inlassablement est celui de la nécessité de pérenniser nos approvisionnements en métaux, dans une logique de souveraineté nationale. Il n’y a pas de contre-argument à la destruction environnementale que constitue l’exploitation minière : elle est brutale, parfaitement visible. Dire que les projets s’inscrivent dans une logique de transition verte ne rend pas l’activité minière écologique ni durable. Les pratiques sont nécessairement ravageuses : en l’état actuel de la demande (qui ne fait que croître), il n’y a pas de “mine à taille humaine” possible, encore moins “verte” ou respectueuse de la Nature. Les entreprises visent la rentabilité maximale et se fichent bien de la protection des milieux qu’elles exploitent. Ici, la transition n’est qu’une façon de perpétuer un extractivisme débridé en se donnant bonne conscience. Rappelons que les métaux extraits, dont fait partie l’or par exemple, serviront principalement à la spéculation, à l’industrie du luxe et à l’industrie militaire. Tout le reste n’est qu’anecdotique.
Nous entendons souvent qu’il n’y a pas de croissance infinie dans un monde fini : c’est vrai. De surcroît, la croissance du monde occidental se fait toujours aux dépens de populations dominées. La France, comme n’importe quelle autre ancienne nation impériale, se sert de ses anciennes colonies pour se fournir en métaux rares. Cependant avec la raréfaction des ressources (monde fini !), la voici contrainte de se tourner vers ses plus proches colonies. La Bretagne devient une nouvelle frontière à franchir, un nouveau territoire à conquérir qui, cette fois-ci, se joue sur le terrain minier.
Bretons et Bretonnes doivent impérativement s’ériger en remparts face à la prédation de l’État français, qui agit uniquement pour l’intérêt de quelques investisseurs privés. Ces projets surviennent dans la plus pure négation des droits humains, dans le mépris le plus total du monde vivant. Plus que jamais, défendons notre pays pour ce qu’il est : une terre vivante, un refuge pour la biodiversité. Imposons nos volontés face à l’industrie prédatrice qui ne perçoit la Bretagne que comme un stock de ressources disponibles. L’État colonial est à l’œuvre, le système industriel progresse un peu plus chaque jour. Ne les laissons pas ravager ce qu’il nous reste de précieux.
C’est aussi à nous à questionner nos pratiques et nos modes de vie : de quoi avons-nous véritablement besoin ? Quelle finalité à l’extraction minière, quelles seront les implications a posteri, quelles utilisations seront faites de ces ressources rares ? Détruire la terre pour grossir le catalogue de biens disponibles est-il vraiment une nécessité ? Voulons-nous réellement accumuler à l’infini des choses dont nous n’avons pas réellement besoin, ou sommes-nous simplement le produit d’une ingénierie sociale qui façonne et oriente nos désirs ?
Le philosophe André Gorz théorisait d’ailleurs à propos du système industriel que le développement sans limite des nouvelles technologies (très gourmandes en ressources de ce genre) finirait à terme par ruiner les “bases de son pouvoir et de sa capacité à se reproduire”. Cela signifie que le capital, en perpétuelle accumulation de par l’intense production de marchandises, ne sera plus en mesure de rentabiliser la production de ce même capital. C’est exactement dans cela que s’inscrit la course à la prospection minière.
Nous insistons sur la nécessité d’une consultation publique sur ces projets de prospection minière, dont l’étendue nous dépasse. Les Bretons et les Bretonnes ne réclament pas un droit à décider de leur avenir : ils l’exercent, en tant que nation libre et avertie.
L’industrie est rodée, son discours ficelé depuis des années. L’emballage vert est un cache-misère. Douar ha Frankiz rejette toute solution technocratique à un problème que la classe technocratique a elle-même créé.
Nous exigeons l’abandon immédiat des permis de recherche et invitons les Bretons et les Bretonnes à, dans un premier temps, une grande vigilance, puis à toute forme de résistance, définie selon des modalités collectivement localement choisies. La lutte est un moyen efficace, organisons-nous, défendons notre Bretagne.
Bevet Breizh Dieub !
- Douar ha Frankiz
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1 https://aurania.com/aurania-secures-new-exploration-licenses-in-brittany-france/
2 “The French government’s decision to grant us these permits is an excellent opportunity for Brittany and the Pays de la Loire to gain a deeper understanding of their subsurface resources and for France to find new sources of metals to secure the country’s supplies through exploration to be conducted by Company” (“La décision du gouvernement français de nous octroyer ces permis est une excellente opportunité pour la Bretagne et les Pays de la Loire [sic] de parvenir à une compréhension plus profonde des ressources de leurs sous-sols, et pour la France de trouver de nouvelles sources de métaux afin de sécuriser l’approvisionnement du pays à travers les prospections menées par l’entreprise”). Cf Keith Barron, président et CEO d’Aurania.